La fracture comme structure : une société française malade de son stress

Ce que nous apprend le dernier rapport France Stratégie (1).

“La statistique est l’art de dĂ©pouiller les chiffres de toute la rĂ©alitĂ© qu’ils contiennent. » Le Principe de la charitĂ©, Remy de Gourmont. Election de Donald Trump, Brexit, ascension d’Emmanuel Macron, alors que les statisticiens s’échinent Ă  comprendre ces phĂ©nomĂšnes en apparence imprĂ©visibles, il est une rĂ©alitĂ© flagrante qui s’impose aujourd’hui comme bien rĂ©elle : un dĂ©calage existe entre « le regard que la sociĂ©tĂ© porte sur elle-mĂȘme et l’image qu’en donnent les statisticiens et chercheurs ».

A partir de ce constat, France StratĂ©gie a rĂ©alisĂ© une Ă©tude dans le but de rendre compte de cette dissonance cognitive et de comprendre les logiques qui structurent et rĂ©gissent les phĂ©nomĂšnes sociaux en France. Cette Ă©tude dresse un constat clair et alarmant pour 2016 avec le sentiment d’une dĂ©gradation de leur existence matĂ©rielle, d’un dĂ©classement social, d’une pauvretĂ© croissante et une insĂ©curitĂ© plus forte que jamais.

Alors que la crise a Ă©tĂ© le catalyseur de ces phĂ©nomĂšnes, ses origines sont plus lointaines. En effet, beaucoup considĂšrent que les institutions (au sens Ă©conomique du terme : « les pratiques, les rĂšgles et les organisations qui structurent les interactions Ă©conomiques et sociales ») n’ont pas Ă©tĂ© en capacitĂ© de rĂ©pondre aux problĂšmes qui se posaient Ă  la France.

La recherche du compromis en entreprise favorisĂ© par un affaiblissement des institutions publiques traditionnelles, l’accroissement du poids des actionnaires dans la politique d’entreprise, l’avĂšnement du management par objectifs et l’affaiblissement des syndicats ont donnĂ© naissance Ă  la mĂ©fiance vis-Ă -vis des acteurs du privĂ©. En bref, les salariĂ©s attendent plus des entreprises sans en voir les rĂ©sultats Ă  court ou long terme suscitant inquiĂ©tude mais aussi prĂ©caritĂ©.

Les pouvoirs publics sont aussi montrĂ©s du doigt puisque seulement 38% des Français en ont une image positive. En effet la dĂ©sintermĂ©diation et la dĂ©matĂ©rialisation des dĂ©marches agrandit la distance entre citoyens et Etat. Nombreux sont les territoires qui ne se sentent pas traitĂ©s, considĂ©rĂ©s par la RĂ©publique et de fait entretiennent une relation dĂ©tachĂ©e et distanciĂ©e avec l’administration.

C’est aussi l’école qui est remise en question puisqu’elle reproduit les dĂ©terminismes sociaux et les inĂ©galitĂ©s qu’elle promet d’éradiquer. Au-delĂ  de l’école de la RĂ©publique c’est tout le systĂšme de solidaritĂ© français qui connaĂźt une crise de confiance, les Français le jugeant peu efficace et trop coĂ»teux mĂȘme s’ils rĂ©affirment un attachement fort puisque 77% d’entre eux s’accordent sur la nĂ©cessitĂ© de le prĂ©server.

Plus prĂ©occupant encore : la sĂ©curitĂ©. 2 Français sur 3 sont d’accord avec la phrase « on est en sĂ©curitĂ© nulle part ». Si la criminalitĂ© et la dĂ©linquance n’ont pas augmentĂ© durant les 10 derniĂšres annĂ©es, les incivilitĂ©s sociales et la dĂ©tĂ©rioration des territoires constitue la cause premiĂšre de ce sentiment.

Enfin, les élus de la République ne sont plus jugés aptes à faire « changer les choses », leur pouvoir est restreint et peu sont considérés comme « agissant pour la cause nationale ». Tout le systÚme est dénoncé, puisque 60% des Français considÚrent que la VÚme République fonctionne mal.

Cette mĂ©fiance gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă  l’égard des institutions se structure sur un fond de fractures et de pessimisme. ProfondĂ©ment fracturĂ©e, la sociĂ©tĂ© est dominĂ©e par des scissions entre riches et pauvres, travailleurs et chĂŽmeurs, jeunes gĂ©nĂ©rations et plus ĂągĂ©es, entre ascension et dĂ©clin social, territoires prospĂšres et territoires en dĂ©shĂ©rence.

Alors que la pauvretĂ© a augmentĂ©, atteignant 8.8 millions de personnes (plus de 10% de la population totale), 63% des Français estiment que « le pire est Ă  venir avec la crise ». Les jeunes gĂ©nĂ©rations se dĂ©sintĂ©ressent de la politique alors qu’elles constituent une partie de la population trĂšs fragile et devraient s’en emparer pour dĂ©fendre ses intĂ©rĂȘts, les territoires pĂ©riurbains, ruraux ne profitent pas de la mondialisation et l’immigration constitue un problĂšme majeur pour 64% des Français qui sont d’accord avec la phrase « il y a trop d’immigrĂ©s en France ».

Ce rapport France StratĂ©gie 2016 est donc sombre dans la tonalitĂ© et dans ses conclusions. 2017 a Ă©tĂ© marquĂ© par un changement politique et semble ouvrir une nouvelle sĂ©quence pour la sociĂ©tĂ© française. Cette sĂ©quence sera-t-elle porteuse de nouvelles promesses et d’un changement de perception de la part des Français ? RĂ©ponse dans le rapport France StratĂ©gie 2017.

(1) : Lignes de faille. Une société à réunifier, Oct 2016, Pauline Grégoire-Marchand, Gilles Bon-Maury, Daniel Agacinsky pour France Stratégie

 

 

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